TYPOLOGIE DE L'HABITAT
Typologies et climat
En Chine, on distingue sept types de climat. Du Nord au Sud, les conditions climatiques sont très différentes et font émerger de large variété typologique architecturale répartie sur l’ensemble du pays. De plus, les facteurs historiques, sociaux et économiques de la Chine combinés à la grande multiplicité de climat fait émerger des modes d’habiter divers.
Le Yunnan, situé dans le Sud de la Chine, est l’un des dix plateaux les plus célèbres au monde à basse latitude. Vallonnée, cette région est soumise au climat des moussons ainsi qu’au climat montagneux.
Typologies et climat
MAISON N°71
71号房
71 hào fáng
La Chine fait aujourd’hui face à une « crise des campagnes », induite par une politique d’urbanisation grandissante à l’échelle nationale. Cette course effrénée à la modernisation, actuellement conduite par la république populaire en place, contribue à la destruction de villages.
La reconstruction des campagnes chinoises est alors primordiale. À travers la revitalisation du village de Tuanshan, et plus précisément la réhabilitation de la maison n°71, les habitants proposent une alternative à cette urbanisation massive des campagnes. L’enjeu pour eux est de sauvegarder le patrimoine que représente le village, tout en assurant la stabilité d’une population rurale sous la menace d’expulsion.
SITUATION
位置
Wèizhì
SITUATION GÉOGRAPHIQUE
Le village de Tuanshan, dans la province du Yunnan en Chine, est situé au sein d’un territoire caractérisé par différentes entités paysagères. Son implantation au centre d’une vallée légèrement en pente, et sa proximité avec le lac Yilong (异龙湖) en font un territoire propice au développement de l’agriculture et à l’installation humaine.
La maison n°71 s’intègre à la fois dans le tissu du village et dans son milieu. La situation de cette habitation, à la lisière Sud-Ouest du village de Tuanshan, s’explique historiquement par l’expansion progressive des constructions s’établissant autour de la salle ancestrale.
Elle se positionne dos aux montagnes de Zhangjia (张家山), et face au plan d’eau situé à l’entrée du village. Ce positionnement, et la relation qu’entretien l’habitation avec le lieu et son environnement, découlent du Feng Shui (风水), art de vivre cherchant l’harmonie des rapports entre l’Homme et son environnement.
Généralement, les maisons traditionnelles Siheyuan suivent une orientation Nord-Sud, mais le contexte est inversé à Tuanshan, en raison de la topographie de la vallée. C’est pour cela que la maison n°71 s’articule en suivant un axe Est-Ouest.
Situation géographique de la maison n°71
ENVIRONNEMENT PROCHE
L’implantation et l’orientation de la maison n°71 lui permettent d’entretenir un dialogue avec le milieu et le village. Elle se situe en haut de la vallée, au sein d’un tissu plus dense que celui que l’on peut retrouver en partie basse. Son environnement proche est très végétalisé et comporte de nombreux arbres et plantations agricoles.
Malgré le manque d’espace public dans le village, l’habitation possède une position stratégique puisqu’elle est ouverte sur une place qui bénéficie de nombreux aménagements. Celle-ci est en lien direct avec une majestueuse porte adjacente à l’habitation, qui permet de relier le village au temple bouddhiste Dacheng, situé en périphérie.
Le chemin en pierre qui relie ces deux espaces, franchit les champs et met en relation de façon sensible l’habitat et l’agriculture.
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Plan de situation de l'environnement proche
1 - Le temple bouddhiste Dacheng
2 - Le chemin traversant les champs
3 - La porte adjacente
4 - La maison n°71
5 - La place aménagée
MISE EN PERSPECTIVE - HABITAT TRADITIONNEL
透视-传统居住方式
Toù shì-chuángtongjūzhùfāngshì
TYPOLOGIE DE L’HABITAT TRADITIONNEL
Le Siheyuan (四合院) est une typologie d’architecture traditionnelle des minorités Han, qui est apparue pendant l’air Yuan en 1264. C’est la figure emblématique de l’habitat traditionnel chinois, qui était autrefois habitée par de grandes familles.
La structure des Siheyuan reflète des aspects propres à la culture traditionnelle chinoise, comme la hiérarchie sociale et la théorie des cinq éléments. Le choix du site, l’orientation, et les dimensions sont planifiées en accord avec le principe du Feng Shui. L’utilisation de briques, de tuiles grises, de poutres et de piliers en bois incarne un idéal esthétique, et est harmonieusement relié aux les attributs fonctionnels de l’habitation.
Cette typologie d’habitation traditionnelle se caractérise par une composition architecturale rectangulaire comportant en son centre une cour carrée. C’est une architecture d’agrégats organisée différemment selon les situations régionales et sociales.
La structure, renfermée sur elle-même, offre aux habitants un espace de vie privé et intime, clos sur l’extérieur. Le caractère introverti de cet habitat est appuyé par des façades périphériques, murs aveugles, épais et hauts.
La fonction d’enveloppe protectrice des murs extérieurs est renforcée par l’absence d’ouverture, à l’exception de petites fenêtres situées en hauteur. Elles donnent sur la cour et permettent d’échapper au regard des passants.
Bien que la maison n°71 ne corresponde pas totalement au Siheyuan traditionnel, elle s’inspire grandement de bon nombre de ses aspects en l’adaptant à son échelle. La géométrie, la matérialité et le renfermement introspectif sont similaires à l’habitat traditionnel.
Maison traditionnelle Siheyuan
HIERARCHIE ARCHITECTURALE
La maison Siheyuan est généralement construite au Nord. Ce point cardinal est associé à l’eau dans la théorie des cinq éléments. La dimension culturelle est profondément ancrée dans la structure de la maison, et la disposition des pièces est très codifié. Leur orientation, suivant les quatre points cardinaux, possède une grande importance symbolique.
L’organisation des maisons promeut certains concepts traditionnels chinois, comme le respect des plus âgés. Ce système hiérarchique où les espaces situés à l’Est prédominent sémantiquement ceux situés à l’Ouest se retrouve dans tous les Siheyuan permettant une unité architecturale, quel que soit le lieu.
Maison traditionnelle
Maison n°71
La porte d’entrée est généralement située au Sud-Est. En suivant le principe du Feng Shui, cette orientation est associée au vent, et est donc propice à la bonne circulation de l’air. Le premier élément que l’on voit en entrant est un mur écran qui vise à protéger l’intimité de la famille. L’accès à la résidence de la famille propriétaire se fait par le passage d’une deuxième porte d’entrée, ornée de chapiteaux (littéralement, « porte à fleurs pendantes »), et située au centre d’un mur de séparation.
L’accès à la maison n°71 se fait de façon linéaire, et ne suit donc pas un parcours désaxé comme dans le Siheyuan traditionnel. L’échelle réduite de la maison empêche une spatialisation identique, mais offre cependant une grande intimité aux habitants.
La rangée de pièces au Sud, nommée la « maison opposée » permet de loger les domestiques.
On ne retrouve pas cette typologie dans la maison n°71, car le statut social du propriétaire ne lui permet probablement pas l’emploi de personnel.
Les pièces situées au Sud-Est sont réservées aux commodités, en raison d’anciennes croyances qui prétendaient que ce point cardinal était habité par des fantômes. L’odeur des toilettes était censée repousser ces esprits.
Cette orientation est réservée au stockage du bois dans la maison n°71, et n’est donc pas habitée par la famille donnant sens à ses superstitions.
L’espace fermé par le mur de séparation et par la maison opposée est appelé la « cour extérieure ». La deuxième cour, qualifiée de « cour centrale », est généralement de forme carrée. La troisième cour, ou « cour arrière », est entourée par la maison principale et par une rangée de pièces situées à l’arrière.
En fonction de la richesse du propriétaire, le motif initial de la maison traditionnelle peut être amplifié par l’ajout de cours intérieures. Dans le cas de la maison n°71, le statut du propriétaire explique la présence d’un nombre limité de cours.
La « maison opposée » située au Nord, est la plus lumineuse et la mieux aérée. En vue de son orientation, c’est le lieu le plus propice à la construction du temple des ancêtres et des salles de réception. À chaque extrémité de la maison principale se trouvent deux petits logis surnommés « maisons d’oreille », servant de lieu de stockage ou de cuisine.
L’échelle réduite de la maison n°71 ne permet pas la présence d’un bâtiment dédié à cet usage religieux. On suppose cependant qu’un espace réduit, comme un autel, lui est consacré au sein de l’habitation principale.
L’aile Est attenante à la cour principale est réservée aux membres de la famille les plus âgés, soit aux grands-parents. L’aile Ouest, considérée comme moins agréable, est investie par les parents. Elle incarne cependant le pouvoir dans les représentations chinoises. La chambre latérale située sur le côté Est de la cour arrière est réservée au fils ainé et à sa femme. La chambre latérale située sur le côté Ouest permet d’accueillir le fils cadet. La partie arrière de l’habitation, que l’on nomme la « maison arrière » est la plus éloignée de la porte d’entrée, et sert généralement d’hébergement aux filles non mariées.
L’échelle réduite de la maison n°71 induit un usage limité à un couple uniquement, voir une personne seule. Elle ne comporte qu’un seul corps de bâtiment situé à l’arrière, offrant intimité aux habitants. On suppose que l’organisation spatiale intérieure respecte les codes traditionnels, et que les pièces situées à l’Est sont réservées aux activités les plus notables.
TRAME CONSTRUCTIVE
Comme on a pu le voir précédemment, la composition d’un Siheyuan ne doit rien au hasard, chaque élément à une place précise déterminée par une culture constructive ancestrale liant la spatialité à la fonctionnalité mais aussi aux croyances. Ainsi pour comprendre le sens donné à la réhabilitation de la maison n°70 et 71 il faut se référer à l’ordonnancement d’un Siheyuan traditionnel. Concernant la mise en place des trames constructives, chaque espace résultant de la polarisation des poteaux-poutres est nommé et règlementé.
Ces règles sont définies par des traités d’architectures ancestraux qui régissent la construction traditionnelle chinoise « Yingzao fashi » (英灶法事), publiée sous la dynastie Song, et « Gongcheng zuofa zeli » (恭城作法). Ils prônent l’harmonie de l’ensemble des édifices notamment grâce à la symétrie par rapport à un axe central.
C’est autour de cet axe central que se polarisent les Jian 見 (Baie) qui permettent d’organiser les espaces en largeur et en longueur. La largeur peut se composer de 3 ou de 5 entraxes et la longueur de 5 ou de 7 entraxes.
Trame de structure poteaux-poutres
Composition de la trame
Relation des différentes mesures
Dans la longueur :
L’entraxe central est Ming 名 (Lumière)
Les entraxes aux extrémités sont Shao 少 (Pointe)
Les entraxes intermédiaires sont Ci 此 (Secondaires)
Dans la largeur :
L’entraxe central est Ji-bu 即不 (Étape de la crête)
Les entraxes aux extrémités sont Yan-bu 眼不 (Étape de l’avant crête)
Les entraxes intermédiaires sont Jin-bu 進步 (Étape d’or)
Ces différentes mesures sont définies par leurs relations avec le diamètre et la hauteur des colonnes.
Le bâti principal de la maison n°71 est construit dans le respect de ces principes et conserve une trame définie par ses poteaux-poutres à travers sa réhabilitation. Difficile à dire si cette conservation découle d’un choix délibéré, d’un écueil dû à un budget réduit ou d’une structure encore pérenne actuellement. Dans tous les cas, le message culturel porté par l’édifice reste intact à travers les époques. À l’inverse les choix plus pragmatiques qui semblent mis en place dans la maison n°70 s’affranchissent d’un regard sur l’histoire du lieu en choisissant une structure porteuse et un sol en béton ainsi qu’une imperméabilisation précaire à l’aide de bâches en plastique.
Mise en parallèle :
La question de la réhabilitation du bâti pékinois
Plus généralement avec le changement de la structure sociale et familiale, les usages de la vie quotidienne ne correspondent plus aux formes construites ancestrales. L’espace limité, le manque d’accessoires et de rangements, les coutumes familiales peu ostentatoires éloignent de plus en plus le Siheyuan des réalités de la vie moderne.
Ce procédé identifié pour la maison n°70 est également identifiable à Pékin dans le quartier de Nanchizi, Un Siheyuan traditionnel, bien que réhabilité avec succès d’un point de vue pratique, la sémantique du lieu est complètement perturbée par l’emploi généralisé de matériaux nouveaux comme le béton et l’acier. Les anciens Siheyuan traditionnels disparaissent jours après jours, se fondant dans la ville de béton « moderne » effaçant par la même tout un pan de culture architectural datant de plusieurs millénaires.
Siheyuan traditionnel pékinois en ruine
Réhabilitation d'un Siheyuan pékinois
MATÉRIALITÉ
材质
Cáizhì
LES MATÉRIAUX
灰沙瓦
LA TUILE GRISE
Les habitations de Tuanshan sont, pour la plupart d’entre elles, recouvertes de petites tuiles canal. Elles sont en majorité artisanales, et réalisées à partir d’argile prélevé au pied des montagnes de la région.
La matérialité et la couleur des tuiles informent sur le statut social du propriétaire. Dans la Chine ancienne, les tuiles vernissées étaient des matériaux de construction de haute qualité ayant une signification politique, et étaient utilisées exclusivement pour les bâtiments impériaux et les résidences de nobles. Dans le cas de structures commerciales ou de simples habitations, comme c’est le cas pour la maison n°71, les pans de toitures sont composés de tuiles grises non vernissées. Cette couleur est due à leur faible cuisson au charbon.
La disposition des tuiles permet d’éviter les infiltrations d’eau lors de fortes pluies. Les tuiles concaves en forme de demi-canal sont jointes par des tuiles cylindriques convexes et par une nouette d’argile. Les bords inférieurs sont composés de cylindres décorés et de « tuiles de bout » ornementées.
LA PIERRE
La pierre est rarement utilisée dans la construction en Chine, car elle symbolise la mort. On la retrouve majoritairement sur les allèges des fenêtres, et sur les escaliers menant à l’intérieur des habitations.
Les murs extérieurs de la maison n°71 sont ponctuellement recouverts d’un parement en pierres grises servant de soubassement. Cette élévation permet d’empêcher les remontées capillaires d’atteindre les matériaux poreux situés en façade.
Elle peut également être un élément décoratif ou représenter le support d’une marque de respect. Sur le seuil de la maison n°70, deux pierres présentent des lithogravures, appuyant la tradition de la calligraphie en Chine. Sur l’une d’entre elles, on peut lire « 张母向太告奠 », signifiant « Mère Zhang et Mme Xiang ont rendu hommage ».
石头
木
LE BOIS
L’architecture chinoise est caractérisée par l’utilisation du bois, qui est l’un des cinq éléments traditionnels. C’est l’un des matériaux les plus résistants aux séismes, et son caractère éphémère représente la vie. Un abri à bois situé dans la première cour de la maison n°71 montre l’importance de l’utilisation de ce matériau par les habitants.
Le bois est principalement utilisé comme élément structurel. Les systèmes de poteaux-poutres à ossature bois, présents au sein de la maison n°71, sont de véritables symboles de la culture architecturale chinoise. La flexibilité de ce matériau est un facteur primordial. Il permet de s’adapter à tous types d’architectures et de matériaux, et permet un large choix quant à l’organisation spatiale intérieure. La structure en bois offre aussi de nombreux avantages économiques, puisque le territoire chinois présente d’abondantes réserves.
C’est également un élément esthétique largement répandu dans les habitations de Tuanshan, notamment au niveau des cadres des fenêtres et des portes, ou pour certains revêtements de mur.
LA TERRE CRUE
La terre est un matériau abondant sur toute la surface de la planète et économique dans bien des domaines. Son faible impact environnemental contribue à le repopulariser.
La terre du Yunnan est extrêmement argileuse, en raison des nombreuses vallées et des dépôts alluviaux très importants. C’est une terre fertile et utilisable crue comme cuite dans la construction, d’où l’importante présence de ce matériau au sein des habitations de la ville de Tuanshan.
La terre peut être utilisée sous forme de nombreuses techniques, mais ce sont les briques en terre crue comprimées et séchées au soleil (adobe) qui sont le plus représentées dans le village et utilisées pour la construction de la maison n°71. Elle est d’ailleurs stabilisée par l’ajout de chaux et de ciment sur les façades principales de l’habitation. Les murs d’adobe de la maison n°71 sont ponctuellement surmontés d’une couverture en tuiles de terre cuite permettant de protéger le mur de l’érosion liée aux intempéries.
生土
熟土
LA TERRE CUITE
La terre cuite est un matériau céramique obtenu par la cuisson de l’argile. Sa résistance dépend de sa composition et de sa température de cuisson. Dans les pays chauds et humides d’Asie, il est possible de rencontrer des pavés en terre cuite au sol, sur lesquels se sont progressivement imprimées des empreintes.
La terre cuite est un matériau très présent dans le village de Tuanshan, notamment au sein des maisons contemporaines ou des habitations réhabilitées, comme c’est le cas de la maison n°71. Elle permet d’offrir une meilleure pérennité à l’édifice.
MODULES ET ASSEMBLAGES
Pour des raisons de pérennité et de performance structurelle, les rénovations ponctuelles de la maison n°71 originellement en terre crue, ont été réalisées en briques de terre cuite. Outre l’apparente hétérogénéité de esthétique, les mesures des briques divergent grandement également.
Les différentes proportions entre la longueur et la largeur des deux types de briques impliquent un assemblage nouveau. L’appareillage alternant panneresse (à plat en longueur) et boutisse (à plat en largeur) avec décalage d’une demi-brique démontre d’une technique particulièrement maîtrisée pour une réhabilitation amateur.
Au niveau de l’entrée, le principe de croisement des joints, ou plus exactement de harpage est respecté. On retrouve une alternance à chaque angle d’un petit côté et d’un grand côté.
L’analyse de l’appareillage révèle une colonne vide au centre du pilier de soutènement.
Plusieurs suppositions s'offrent à nous, soit le centre est vide, ou emplis de ciment. Mais dans ce cas, la structure ne serait pas assez solide pour reprendre les poussées horizontales des murs latéraux.
Soit, hypothèse la plus probante, les briques sont disposées en carré comme sur la photo ci-contre, créant un pilier de section carrée de 36 cm de côté. L’espace libéré au centre permettant ainsi la pose d’un ferraillage qui vient chaîner l’ensemble de la construction.
Brique en terre crue (existant)
Brique en terre cuite (ajout)
Boutisse sur panneresse sans décalage (appareillage maladroit)
Alternance de panneresse et boutisse avec décalage
Terre cuite
Terre crue
CONTRASTE DES MATÉRIAUX
Le village de Tuanshan est tiraillé par son architecture et sa matérialité. De nouvelles habitations plus modernes, en béton, participent à la création d’un nouveau paysage pour le village. C’est cette relation conflictuelle entre patrimoine et modernité, béton et terre, qui forge l’identité du village.
On peut également observer cette même relation conflictuelle au sein de la maison n°71 qui offre à la fois une matérialité en terre crue, image patrimoniale, ainsi qu’une matérialité en terre cuite, image moderne.
Les briques de terre crue et les briques de terre cuite sont des matériaux aux caractéristiques physiques et chimiques différentes. Ce contraste peut poser des problèmes de pérennité de l’édifice. Les briques en terre crue s’usent en effet plus rapidement que les briques en terre cuite.
Outre des avantages écologiques et économiques, les murs en terre crue permettent une gestion naturelle de la chaleur et de l’humidité du bâtiment. Qui plus est c'est un matériau peu cher, facile à produire car très standardisé et enfin, facilement déclinable (couleurs, forme).
Si la maison n°71 semble faire usage de matériaux traditionnels, ou dans la continuité des usages ancestraux (briques en terre cuite) ce n’est pas le cas de la maison attenante n°70 qui se déleste d’une trame de poteaux-poutres au détriment d’une utilisation importante du béton qui pare les murs et structure l’édifice. Cette solution est séduisante de par son aspect de simplicité mais implique également des dérives discutables. Outre la perte d’une architecture culturelle et vernaculaire, le béton perd au change face à la brique en termes de capacité thermique. Si la production artisanale de brique a une faible empreinte carbone, ce n’est pas le cas de l’utilisation de plus en plus généralisée du béton qui tend à homogénéiser les cultures en s’exportant unilatéralement à travers le monde.
Contraste des matériaux de la maison n°71
REMPLISSAGE HETEROCLITE
La réhabilitation de la maison n°71 trouve son originalité dans sa technique de restauration des murs érodés par le temps. La brique de terre crue bien que performante thermiquement, possède une durée de vie limitée face aux différents éléments climatiques, les façades s’effondrent donc ponctuellement à de multiples reprises. Pour pallier ce problème, les habitants ont pris le parti de ne pas reprendre la totalité du mur par soucis de moyen et de temps de travaux. On peut donc retrouver des accumulations de matériaux divers venu combler les multiples failles. Si la majorité sont comblées par accumulation de briques en terres cuites on peut également retrouver des patchworks de matériaux hétéroclites trouvés sur place tel que des tuiles grises ou encore des débris d'anciennes charpentes en bois.
Ces diverses scarifications ostentatoires sont autant de preuves tangibles de l’histoire du lieu.
Musée de Ningbo, Chine
Hétérogénéité de la façade
Hétérogénéité de la façade
Ajout de tuiles au sein de l'appareillage des briques
Influence du Wa Pan
L’art du wa pan est une technique traditionnelle chinoise initiée par l’architecte Wang Shu. On la retrouve notamment au sein du musée d’histoire de Ningbo (宁波博物馆), dans la province du Zhejiang, en Chine.
Dans le contexte de destruction massive du patrimoine bâti en Chine dû au phénomène d’urbanisation, on observe une perte des savoir-faire, dont seuls les artisans possèdent la mémoire.
La technique du wa pan a été mise au point par les agriculteurs et ruraux afin d’accélérer les reconstructions après les dommages causés par le passage de typhons. Cette technique de construction adaptative consiste à intégrer les caractéristiques de l’habitat vernaculaire propre à une région dans la conception du musée et de la maison n°71.
La récupération et le réemploi de matériaux issus des ruines des villages permet d’ériger les façades du bâtiment dans une démarche de développement durable. Ces éléments de nature et de forme hétéroclites sont utilisés en remplissage d’une structure en béton brute. Les tuiles de céramique, briques de terre cuite, pierres, et bambous sont réassemblés dans une sorte de mosaïque imparfaite que Wang Shu qualifie de « jardin minéral ». Ce genre de décoration était d’ailleurs anciennement un moyen économique de construire des maisons dans la région, quand l’utilisation du ciment n’était pas encore répandue.
En renouant avec les techniques de construction ancestrales locales, l’architecte vise à réinterpréter de façon poétique la culture chinoise dans un langage architectural contemporain, pour ne pas muséifier la ville. Il fabrique une vision nouvelle avec les ruines de la tradition et inversement, il retrouve l’esprit de la tradition et de l’histoire sur les ruines de la modernité.
Influence du Kintsugi
Le Kintsugi signifiant « jointure en or » (金継ぎ), ou Kintsukuroi signifiant « réparation en or » (金繕い) est un art japonais ancestral qui consiste à réparer un objet brisé en soulignant ses failles au moyen d’une laque traditionnelle naturelle saupoudrée d’or.
Si l’or est majoritairement utilisé pour esthétiser les cicatrices des objets, il est aussi possible d’utiliser d’autres métaux tels que l’argent, le bronze, le laiton ou le cuivre. Lorsque l’argent est utilisé, la technique prend le nom de « Gintsugi », ou le nom d’ « Urushi tsugi » lorsque la laque est utilisée seule, sans être parée d’artifices métalliques.
Cette technique de réparation des céramiques s’inscrit dans la pensée japonaise du Wabi Sabi, qui dérive des concepts du zen et qui prône l’acceptation et la contemplation de ce qui est imparfait et impermanent.
Cette poésie du quotidien invite à reconnaitre la beauté qui réside dans les choses simples, atypiques, et uniques.
Le Kintsugi relève d’une philosophie qui prend en compte le passé de l’objet, son histoire, sa matérialité, et donc les accidents éventuels qu’il a pu connaître. Les fêlures sont désormais signes de renouveau et symbolisent le début d’un nouveau cycle et d’une continuité dans l’utilisation des objets. La soudure en or sublime les blessures de l’objet, qui devient paradoxalement d’autant plus résistant et précieux qu’avant le choc.
Au-delà de ses vertus esthétiques, le Kintsugi offre une approche philosophique à la vie, touchant à la symbolique de la guérison et de la résilience. Cette forme d’art-thérapie s’appuie sur l’analogie entre réparer un objet et réparer son âme. Elle favorise l’acceptation de soi et fait de nos blessures des forces.
Façade de la maison n°70
Façade de la maison n°71
Céramique réparée avec la technique du Kintsugi
Céramique réparée avec la technique du Kintsugi
C’est un schéma similaire que l’on peut observer dans la réhabilitation amateur de la maison n°71, l’usure du temps y est acceptée et magnifiée par l’ajout ostentatoire de matériaux étrangers à la construction originelle. Plus qu’une réhabilitation, c’est une philosophie habitante qui se traduit spatialement, entre acceptation d’un nouveau cycle et refus du lissage des techniques modernes sans pour autant délaisser l’histoire et l’origine du lieu.
APPROPRIATION CITOYENNE
公民采纳许可
Gōngmíncaínàxùkě
PERSONNALISATION ET ANACHRONISME
Bien que les maisons n°70 et n°71 répondent à un certain confort de vie pour les habitants, elles sont habitées de manière très sommaire. Il est intéressant de les comparer à la manière dont est habitée la maison Zhang dans le village, appartenant aux descendants d’une famille de riches marchands.
L’abri de stockage de bois de la maison n°71 est composé d’une toiture en tôle recomposée de différentes matières. L’entassement des branchages est désordonné et disparate.
Au sein de la maison Zhang, ce même élément architectural est composé d’une toiture en tuiles grises, avec des tuiles concaves, convexes, et une nouette. C’est une typologie semblable à celle que l’on retrouve sur les différents pans de toiture de la maison n°71. Les planches de bois sont ordonnées de manière très adroite.
Le réseau électrique de la maison n°71 et les différents compteurs sont apparents au centre de l’un des principaux murs extérieurs. Ils sont presque mis en avant sur cette façade aveugle, à l’instar d’une ornementation.
Le réseau d’eau et la tuyauterie de la maison Zhang sont situés en partie basse d’une entrée secondaire. Ils sont plus dissimulés de la façade, et se confondent avec les éléments architecturaux présents en partie basse, tels que le soubassement en pierre et les escaliers.
L’espace extérieur attenant à la maison n°70, n’est pas aménagé. Les habitants se l’approprient sommairement par le biais de mobilier mobile, tel que des tabourets en bois.
Pour la maison Zhang, cet espace extérieur résulte d’un véritable travail d’aménagement avec du mobilier fixe, où des tables et bancs en bois permettent d’investir durablement l’espace.
La maison n°70 possède une structure en béton, et les espaces de vie sont marqués ponctuellement par la présence de bâches en plastique situées en toiture, et empêchant l’infiltration d’eau. Cet outil de réhabilitation de la toiture montre le caractère éphémère et rudimentaire de l’habitation. De plus, le mobilier et la décoration sont primitifs. Des tabourets en bois et des seaux renversés sur lesquels sont disposés des coussins de vannerie, servent d’assises aux habitants.
La maison Zhang est, quant à elle, construite sur la base d’une charpente en bois, et les sols sont recouverts de pierres grises. Elle affiche des formes élégantes et des ornements délicats, offrant une ambiance chaleureuse et paisible à l’habitation. Le luxueux mobilier est en adéquation avec de nombreux motifs symbolisant la richesse et le bonheur, et dissimulés sur l’ensemble de la structure.
La salle d’eau de la maison n°70 appuie, une fois de plus, la simplicité de l’habitation. Les murs en béton sont recouverts par des bâches en plastique permettant d’imperméabiliser les murs et d’éviter au maximum l’humidité au sein de la pièce.
Maisons n°70 et n°71
Maison Zhang
RENOVATION DE LA VILLE DE XI’AN ET CONFLITS AVEC L’ETAT
Lors de la rénovation de la vieille ville de Xi’an en 1993, les autorités ont expulsé les habitants, et n’ont pas respecté les accords signés entre l’état et la population. D’après la constitution chinoise de l’époque, le droit au logement et l’intérêt de la population devaient être sauvegardés, et les habitants relogés.
Les logements ayant été construits plus vastes, il y a eu un changement sur les prix de vente. Si les habitants ne disposaient pas de la somme requise, ils n’étaient pas autorisés à entrer dans leur logement.
En décembre 1993, Ren Sali, activiste qui résidait dans la vieille ville de Xi’an, a réalisé une enquête d’opinion parmi les résidents des rues touchées par la réhabilitation.
Pour résumer les réponses à cette enquête, la majorité des habitants n’étaient pas d’accord devant cette politique de réhabilitation, et trouvaient qu’elle n’était pas une bonne solution au problème de logement. S’ils faisaient partie d’une famille touchée par le déplacement, la majorité d’entre eux ne pourraient pas trouver eux-mêmes de logement provisoire et n’auraient pas les ressources suffisantes pour payer les frais de rénovation de leur maison. Leur niveau de revenus ne serait pas suffisant pour acheter une maison sur le marché du logement, et le prix de vente de la maison qu’ils occuperaient après la rénovation ne serait pas satisfaisant. Ils considèrent également que leur maison ne serait pas en meilleur état après la réhabilitation.
Xi'an
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Localisation de Xi'an, en Chine
Remparts de la ville de Xi'an
Bien que cette enquête ait été réalisée il y a de nombreuses années dans un grande ville, elle permet de déceler les vraies problématiques de la réhabilitation face à la politique de logement dans les villes et villages chinois.
Même si la temporalité et le lieu diffèrent diamétralement dans le cas de la maison n°71, il est intéressant de faire un parallèle entre ces deux situations. En effet la réhabilitation amateur bien qu’encadrée par aucune autorité prééminente semble être une réponse mesurée à la problématique de transformation du bâti en accord avec une société en évolution constante. Cette appropriation citoyenne, bien qu’étrangère aux dogmes de la modernité est un juste compromis entre mise à jour des usages, respect des traditions et bien évidement moyens financiers du foyer.
Malgré le peu d’informations à disposition pour la recherche, la typologie du Siheyuan traditionnel adaptée au contexte rural s’avère être un modèle très peu référencé aux qualités pourtant multiples.
L’état originel du bâti transmet tout d’abord bon nombre d’informations quant à l’évolution d’une typologie traditionnelle en fonction des habitants qui l’occupe et de leurs moyens, ainsi que de l’échelle du bâti et de ses usages. Toutefois c’est dans sa réhabilitation amateur que cette maison paysanne devient réellement unique et particulièrement pertinente.
De prime abord, l’aspect peut sembler hétéroclite, mais l’impression visuelle est rapidement supplantée par la découverte de subtils choix constructifs opérés par les usagers du lieu. Tant dans le choix des matériaux, et l’appareillage des briques que dans la préservation optimale du bâti d’origine, la réhabilitation se révèle singulièrement sensible aux traditions et à l’histoire du lieu. Assumant sa mémoire et ses stigmates comme partie intrinsèque à sa personnalité actuelle.